Plaisir et expertise enseignante - L'empathie au coeur de l'expertise professionnelle des enseignants d' EPS ?

RIA LUC - IUFM Auvergne (Laboratoire PAEDI)
VISIOLI JÉRÔME - UFR STAPS de Rennes (Laboratoire CREAD)
6è Rencontre AEEPS/Montpellier -3è Biennale/AFRAPS , 2007

Résumé : S’interroger sur le plaisir en EPS renvoie le plus souvent à une réflexion sur l’activité des élèves, car rares sont les disciplines qui sollicitent une implication émotionnelle d’une telle intensité (Gleyse et Bui-Xuan, 1996 ; Delignières, 2004 ; Ubaldi, 2005 ; Gagnaire et Lavie, 2005). Pourtant, les émotions semblent également au cœur de l’activité d’enseignement, ce qui suscite l’envie chez certains auteurs de parler également du " plaisir d’enseigner l’éducation physique " (Blanchard - Laville, 2001 ; Ghislain Carlier, 2003 ; Bui-Xuan, 2003). Dans une perspective sociale ou située des émotions (Dumouchel, 1999 ; Durand, 2000), les émotions sont à comprendre comme des moments particuliers, saillants, d’un processus continu, incessant, permanent d’échanges inter individuels : élèves et enseignants sont en interaction au sein d’un processus de coordination dont émerge plaisir et déplaisir. Si ces expériences marquantes peuvent émerger en dehors de toute intention de l’enseignant (il décide alors de les exploiter ou non), nous nous intéressons particulièrement à l’idée que le plaisir des élèves dépend entre autre de l’influence de l’enseignant sur la dynamique émotionnelle du cours d’EPS : avoir une attitude empathique pour comprendre et accepter en situation les émotions des élèves, faciliter le dialogue émotionnel au sein de la classe, ou encore cultiver les émotions pour offrir de la reconnaissance aux élèves et développer leur estime de soi (Berthoz et Jorland, 2004 ; Gagnaire et Lavie, 2005).

Dans une conception de l’homme qui considère que toute émotion est référée au bien-être et à son appréciation personnelle, culturelle et sociale, " l’action a un fondement émotionnel et répond à un mobile sensible " (L. Ria & M. Recopé, 2005). Plus précisément, les émotions émanent d’une expérience de plaisir ou de douleur, indissociable du caractère attractif ou répulsif des évènements pour l’individu : l’expérience de bien-être ou de mal-être est provoquée par l’apparition ou la disparition d’évènements désirables ou douloureux, ou encore par le fait qu’on s’attende à ce que de tels évènements surviennent (Lazarus, 1982 ; Rimé et Scherer, 1989 ; Vygotsky, 1998, Damasio, 1995). Dès lors, la difficulté majeure de l’enseignant est de réussir à gérer / exploiter les décalages entre ses attentes et celles de ses élèves, de réussir à articuler ses émotions avec celles de ces élèves, de tenter de transmettre son plaisir et/ou son insatisfaction.

L. Ria (2005) a montré que les enseignants débutants craignent parfois de donner du plaisir aux élèves de peur que celui-ci soit contagieux et que les élèves leur échappent. Au contraire, les enseignants plus chevronnés en feraient un usage plus varié pour influer sur l’ambiance du cours d’EPS. En effet, progressivement, les enseignants apprennent à mettre en scène les émotions pour avoir un impact sur les élèves : avec un peu d’expérience, ils arrivent à moduler, amplifier et théâtraliser leurs émotions à des fins pédagogiques. D’ailleurs pour F. Tochon (1993), la capacité de relation socio-affective semble corrélée à l’efficacité de l’enseignant : selon cet auteur, " il y aurait là une piste à creuser ". Notre proposition consiste donc à repérer le rôle des émotions dans le cours d’action (Theureau, 1992) d’enseignants chevronnés, à comparer leurs structures typiques, leurs lieux d’émergence, leurs fonctions, leurs caractéristiques relativement aux résultats décrits par L. Ria (2005) au sujet des émotions typiques des novices.

A partir d’études de cas, nous souhaitons documenter comment des enseignants experts (au regard des différents critères d’expertise en enseignement proposés par Tochon (1993)) mobilisent leurs émotions pour en faire des artefacts à des fins pédagogiques. Il s’agira en particulier de souligner leur exploitation empathique et opportuniste de la dynamique des situations de classe pour susciter des expériences de plaisir / déplaisir chez leurs élèves vis à vis des contenus d’enseignement et compte tenu des attentes éducatives. D’une part, nous avons analysé les gestes professionnels, les comportements et les communications lors de leçons d’EPS. D’autre part, à partir de données recueillies lors d’entretien d’auto confrontation complétées par une grille d’auto évaluation des émotions (Ria, 2001), nous avons cherché à documenter l’expérience de ces enseignants.

Nos résultats montrent : a) que les émotions sont des guides sensibles de l’action professionnelle : l’enseignant expert perçoit des ambiances de classe sur des indices ténus acquis au cours de l’histoire de classe (des regards, des mimiques, une agitation…) ; b) l’usage de gestes professionnels signifiants afin d’influencer sur cette ambiance de classe ; en ce sens, les émotions de plaisir et de déplaisir sont des artefacts pédagogiques à des fins éducatives qui font partie intégrante de la palette d’intervention de l’expertise enseignante ; c) que cette exploitation de la dynamique émotionnelle est réalisée de façon plus ou moins consciente, par l’intermédiaire d’" habitus " (Perrenoud, 2001) ; d) que la dynamique émotionnelle entre l’enseignant et les élèves s’inscrit dans un contexte social, culturel et temporel ; l’expertise correspond entre autre en une exploitation des émotions respectant cette " histoire de vie de classe ".

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