Plaisir du jeu - Apports de la théorie des jeux à une éducation physique singulière pour des plaisirs pluriels

DUGAS ERIC - Maître de conférences, UFR - STAPS, Université de Paris Descartes et Axe 5 du GEPECS, EA 3625 , Plaisir en EPS
6è Rencontre AEEPS/Montpellier -3è Biennale/AFRAPS , 2007

Résumé : L’Education Physique et Sportive (EPS) confère aux élèves de vivre des expériences corporelles selon des enjeux éducatifs établis. Dans cette perspective scolaire, la jubilation motrice, trop souvent associée et réservée au monde de l’enfance (simple défouloir, délassement ou jeu futile, etc.) s’efface habituellement au profit d’une motricité plus sérieuse et plus convenue, insérée dans une démarche didactique trop contraignante, à l’instar d’autres disciplines. Dans un tel contexte, comment faire vivre des situations ludomotrices qui respectent les ressources et richesses des élèves afin que le plaisir intra-personnel émerge et laisse des traces bien au-delà des séances d’EPS ? Quels sont les indicateurs pertinents qui méritent une attention particulière pour mettre les élèves sur le chemin du plaisir ludomoteur ?

En EPS, il est classique et fort justifié d’analyser le contexte d’enseignement au regard des interactions élèves-élèves, élèves-professeur, de la démarche didactique de l’enseignant, du type d’évaluation privilégiée, etc. Bref, autant de situations éducatives formant un système interactionnel complexe qui peut conduire à la production de plaisirs ou de déplaisirs. Nous pourrions ajouter qu’il est habituel d’étudier aussi les caractéristiques dont peuvent faire preuve les participants. On retiendra par exemple leur profil psychologique, leurs qualités physiques, leur brio technique, leurs compétences, leurs habitus, etc. Ces facteurs sont certes de poids pour déplacer le curseur sur l’échelle du plaisir, mais une autre attitude est possible. Il s’agit d’analyser les caractéristiques des situations motrices (activités physiques et sportives) prises pour elles-mêmes, selon leurs traits de logique interne : le rapport indissociable à l’espace, aux types d’interactions motrices, au matériel, au système des scores, etc., là où le pratiquant agissant déploie ses conduites motrices.

En effet, le désintérêt ou la méconnaissance pour ce type d’analyse peut conduire à la "dissonance", c’est-à-dire au déplaisir assuré de l’élève (approche d’une pédagogie conative, Gilles Bui xuân, 2003). Il est vrai qu’une démarche didactique appuyée de la part de l’enseignant peut retourner des situations bien délicates, mais pourquoi faire compliquer lorsque l’on peut faire plus simple ?

Ainsi, nous proposons-nous de démontrer que la recherche du plaisir en EPS s’accompagne au préalable, c’est-à-dire dans une premier temps, d’une analyse approfondie et pertinente des structures profondes des situations motrices au sein desquelles les élèves se meuvent. C’est effectivement au travers de l’étude de la théorie des jeux (Barbut, 1967 ; Guerrien, 2002, etc.) et de la logique interne des situations motrices (Parlebas, 1999) que nous distinguons le sens profond de la pratique physique. Cette démarche exploratrice faciliterait une adéquation entre la sollicitation didactique de l’enseignant et la propension à agir de l’élève (Bui Xuân, ibid). Sachant qu’il est incontestable que tout à chacun possède des mobiles d’agir différents qui peuvent générer des plaisirs pluriels. Bien entendu, l’analyse théorique de la logique interne des différentes pratiques physiques ne peut à elle seule garantir la conquête (voire la quête !) du plaisir en EPS. Elle doit être croisée avec les traits familiers de logique externe que nous avons exposés plus haut.

Pour étayer notre réflexion sur ce système complexe que forme l’enseignement en EPS, nous choisirons d’étudier, chemin faisant, une forme singulière d’activités physiques, les jeux traditionnels ; pratiques physiques qui sont inopportunément trop souvent minorées et cantonnées à l’univers enfantin. En effet, de par leur variété structurelle et culturelle, ces jeux procurent, au-delà de la joie et des éclats de rire, un foisonnement de plaisirs qui n’a rien à envier aux autres formes sociales de pratiques physiques.