Plaisir du jeu - La fin de la récréation ? Sécurité, jeux et plaisirs entre adolescents

BOUR YAN - Doctorant en anthropologie - ATER UFR STAPS Nice, Laboratoire d’Anthropologie Mémoire, Identité et Cognition sociale (EA 3179) - MSH, UFR Lettres, Arts et Sciences Humaines - Université de Nice Sophia Antipolis
6è Rencontre AEEPS/Montpellier -3è Biennale/AFRAPS , 2007

Résumé : L’étude anthropologique sur laquelle s’appuie cette communication porte, de manière générale, sur la sociabilité et le ludisme adolescents. Menée à l’échelle ethnographique d’un collège " ordinaire " de l’académie de Nice (environ 750 élèves âgés de 11 à 16 ans), cette étude prend sa source dans la quotidienneté collégienne, pour interroger les " formes du partage " (Candau, 2000) qui se phénoménalisent dans le cadre spatio-temporel de la cour de récréation. Aussi se focalise-t-elle plus particulièrement sur les pratiques corporelles juvéniles que l’on nomme aujourd’hui, dans le flot médiatique, notamment, jeux " dangereux " et/ou " violents ".

Si la cour de l’école primaire reste un lieu propice à la créativité et à la coopération entre pairs (Delalande, 2001), une observation participante de longue haleine dans la sphère du collège, opérée dans une proximité propice à la confidence, permet de mettre le doigt sur quelques formes ludiques radicales ; attitudes et conduites partagées et transmises où l’usage du corps se montre tout à la fois aléatoire et provoquant, un rien exubérant et vertigineux, tutoyant souvent le danger et s’y frottant, transgressant parfois jusqu’au point de rupture.

Frôlant ainsi l’intégrité " totale " des jeunes sujets, ces jeux, qui défient par ailleurs l’ordre scolaire établi, visent un plaisir porté par une esthétique de la rigolade. Dès lors, c’est par l’entremise de quelques micro-coopérations, saynètes ludiques et autres " jackasseries ", toutes sortes de jeux spontanés, subreptices et éphémères, que pratiquants et spectateurs glissent du registre terne et plaintif du " on s’ennuie " à celui, plus enjoué, coloré, un rien hâbleur du " on rigole ".

La " récré ", entendue comme un " espace transitionnel " (Winnicott, 1975) " qui fait sens en prenant forme " (Midol, 1996), est, de fait, l’objet d’un contrôle accru, l’administration décuplant la surveillance et multipliant les interdits à l’encontre des objets de jeu comme les sanctions à l’égard des sujets et de leurs conduites ludiques. Partant, ces " dispositifs " (Foucault) réduisent, voire invalident tout ou partie des possibilités de détente ou de re-création dans des jeux ou des activités sportives, autant de pratiques qui procèdent pourtant du fond commun de l’enfance et de l’adolescence (e.g. Balle au mur, Ballon prisonnier, Football, Course-poursuite, etc.)

En quoi ces politiques éducatives sécuritaires, s’abreuvant d’un argumentaire du " risque zéro ", tendent-elles à infléchir, si ce n’est à invalider la coopération entre pairs ; touchant ainsi droitement à la culture juvénile, à l’expression des plaisirs, au partage des émotions et, in fine, à la co-construction d’un bonheur adolescent ? Que se joue-t-il sur le plan sensoriel, émotionnel, social et culturel dans cette corporéité à la limite ; a fortiori lorsque plaisir et bien-être renvoient à des expériences douloureuses ?

Questionnant, dans une optique critique, l’aspect inédit, " en vogue " et épidémique de ces " techniques du corps " (Mauss) et autres " actions motrices " liées à une matérialité (Warnier, 1999), de même que leur filiation avec des jeux traditionnels et des pratiques sportives, cette problématique entend réactiver le regard sur l’adolescence contemporaine, en s’attachant plus particulièrement à la place du corps, des interactions entre pairs, du rôle du jeu, des objets et de la mise en " jeu " de soi dans la subjectivation et les " modes d’existence " (Deleuze).