Le plaisir des APSA - Penser l'au-delà du principe de plaisir dans les relations d'enseignement en EPS

MONTAGNE YVES-FELIX - Professeur Agrégé EPS, IUFM de Paris
6è Rencontre AEEPS/Montpellier -3è Biennale/AFRAPS , 2007

Résumé : A l’écoute de ce qui satisfait ou insatisfait les enseignants et les élèves en EPS, on peut penser que la pratique ou les effets de la motricité ne sont pas les seuls pourvoyeurs de satisfaction ou d’insatisfaction dans cette discipline d’enseignement. On peut également noter, si on décide de prendre les paroles des protagonistes de l’EPS comme des énonciations qui ont valeur de vérité, que ce qui les satisfait ou les insatisfait , n’est pas uniquement ce dont ils ont conscience, ce qui les réjouit ou ce qui leur est agréable.

En articulant, grâce au champ conceptuel et méthodologique de la psychanalyse, les concepts de plaisir/déplaisir et de jouissance, on peut envisager une lecture inédite de la satisfaction dans les gymnases. On peut de la sorte espérer éclairer autrement les conduites des élèves et la perplexité de leurs professeurs.

Cette articulation, F Labridy et le GREPAS l’ont décliné pendant 20 années à propos du sport. Bien des jalons ont été ainsi posés, montrant que plaisir et jouissance ne se confondent pas dans la pratique sportive, quelle soit de haut niveau ou plus décontractée. Le plaisir est de l’ordre du plaisant, du possible, du dicible, du continu. La jouissance est de l’ordre du désagréable, de l’impossible, du fini et du " pas parlable " comme disait un professeur.

A travers le prisme de cette double dialectique plaisir/jouissance et agréable/désagréable, ni le plaisir ni la jouissance ne sont posés comme des objectifs à atteindre ou des méthodes à employer dans les gymnases. Il sont plutôt à prendre comme des traces du vivant pulsionnel qui anime les cours, comme des effets de surcroît à la rencontres éducative et aux apprentissages moteurs déclenchés en EPS.

Etayer un tel postulat engage à :

  • Rappeler quelques éléments de définition à propos du plaisir, du principe de plaisir, de l’au-delà du principe de plaisir et de la jouissance, en s’appuyant sur les travaux de Freud et de Lacan.
  • Faire apparaître comme des modes de jouir particuliers certaines positions enseignantes identifiées à première vue comme désagréables et sources de désagrément, comme le fait de jouir de dominer la classe ou d’être malmené par les élèves
  • Reconnaître dans les conduites emportées et " insensées " de certains élèves des formes d’expression singulière de jouissance(s), telle celle éprouvée par et dans le " bla-bla " du silence impossible ou celle ressentie dans les actes de transgression ostentatoires ;
  • Envisager des pistes pour répondre à la question d’une enseignante " néo-titulaire " (PLC3), " comment être professeur pour qu’eux et moi soyons satisfaits ". Cela revient, tant en formation qu’au front des classes, à inventer des formules d’EPS susceptibles d’autoriser un peu de la satisfaction de chacun dans une logique d’un vivre ensemble grâce à l’école.

La première des solutions ébauchées semble passer par la mise en place de lieux et de formules de conversation susceptibles d’accueillir dans la parole l’en trop de jouissance des élèves.

La seconde parait s’organiser autour de moments entre professeurs, pour parler de soi en situation, pour tenter de poser certains jalons aussi bien quant au repérage de la façon dont on jouit de son métier d’enseignant, qu’à la perception de la manière dont les élèves organisent leur satisfaction d’adolescents.

La troisième s’appuie sur le fait qu’un grand nombre de jeunes professeurs trouvent du contentement et obtiennent celui des élèves en passant par les jeux traditionnels. On peut envisager de s’appuyer sur cette ouverture pour se souvenir en entendant ce professeur dire " le jeu ça les change ", que la dialectique " ludus/païda " pourrait fédérer la rencontre des satisfactions dans le gymnase. Dire que les élèves sont AUSSI demandeurs de jeux et pas seulement " de situations ludiques ", c’est interroger cette disposition pédagogique en la pointant comme finalement un choix qui, en privilégiant le principe de plaisir, satisfait surtout les enseignants.

Cette vision décalée de la relation à construire entre EPS, le plaisir et son au-delà est à prendre comme une tentative clinique pour comment répondre au ’’TANT moderne’’ de l’EPS qui l’embarrasse. La praxis de la psychanalyse soutient et montre deux voies/voix pour prendre en compte le fait que professeurs et élèves sont réciproquement empêchés et empêcheurs de jouir en rond .Le premier engage à regarder quelle est sa propre part dans le désordre dont on se plaint, en considérant que ce dont on se plaint, on n’est pas sans en jouir. Le second constate qu’à passer par la parole on peut partiellement se départir du trop d’insupportable que cause la tension d’une jouissance, quoi qu’il en soit, impossible à assouvir.

En associant l’allègement que procure le langage avec la sublimation " motrice " que peut proposer l’EPS, par les règles du jeu moteur quelque chose peut être, va s’inventer pour permettre aux élèves et aux professeurs d’être autrement satisfaits en cours.

icon - Texte

Bibliographie

BROUSSE Marie-Hélène, LABRIDY Françoise, TERRISSE André, SAURET Marie-Jean ; Sports, psychanalyse et science, Ed Puf, Paris, 1997

DE SMET Noëlle, Au front de classes, Ed talus d’approche, Bruxelles, 2005

FILLOUX Janine ; Du contrat pédagogique, Ed l’Harmattan, Paris, 1976

FREUD Sigmund, Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, 1905,Ed Gallimard, Paris, 1988

LACAN Jacques, Les Ecrits, " Fonction et champ de la parole et du langage ", p237 à 322, Seuil, Paris, 1966

LEHIR Sonia, MONTAGNE Yves Félix, " Rencontre avec Fabien Galtier ", in Revue Terre de CIEN, N°15, Mars 2005, p 2-4.

PARLEBAS Pierre, " Jeux sportifs, rêve et fantaisie ", in Revue Esprit, N°446, Mai 1975, p 789.

SAFOUAN Moustapha, L’échec au principe de plaisir, Ed Seuil, Paris, 1979