La course en mode fantôme

, 2020

La course en mode fantôme : 

je cours contre moi-même, je peux battre les autres

Elodie Guindet PEPS LP2i Jaunay-Marigny, Romain Jourdain PEPS cité scolaire Jean Moulin Montmorillon, Romain Proust PEPS LP2I, Jaunay-Marigny.

 

Introduction : 

 

“C’est trop dur" ou "je suis nulle”, “on a déjà couru l’année dernière, j’y arrive pas”. Ces expressions d’élève que nous avons tous entendu à l’amorce d’une séquence de demi-fond témoignent souvent d’une incapacité apprise, liée à une pratique de course standardisée laissant chaque élève à une place établie dès la première leçon. La capacité à performer tirée du fonds culturel du demi-fond s’en trouve dès lors  annihilée et réduite à une course de maîtrise d’allure subie.

A l'issue de ces constats, nous nous sommes interrogés sur l’élaboration d’un objet d’enseignement caractéristique de la tranche de vie du demi-fondeur au travers d’une pratique motivante pour les élèves bâtie sur l’égalité des chances pour remporter la course. «Toutes et tous coureurs performants sur une série de course par la maîtrise d’allures ciblées sur nos capacités pour finir fort et remporter la course finale grâce une gestion de l'épreuve dans sa totalité». Nous comptons à l’instar du best seller “born to run” reconnecter toutes et tous aux mobiles d’agir profond du coureur, nous y reviendrons lors de l’analyse du fonds culturel de l’activité. 

Nous faisons le pari, dans la logique des travaux d'E.Llobet et G.Hanula autour de la notion de “champion de soi-même ”, que le temps est une contrainte plus égalitaire que la distance tant elle permet à chacune et chacun de s'éprouver dans une zone de performance ciblée et auto-référencée. Ainsi, il est possible de créer les conditions d’une course équitable entre des élèves ayant des potentiels différents où toutes et tous auront les mêmes chances de gagner. Ce changement de paradigme, offre un levier motivationnel très fort, celui de pouvoir à nouveau être dans la course pour le podium, même si d’autres sont plus rapides ou endurants à priori. En effet, la véritable égalité des chances est organisée ici dans la mesure où les efforts de chaque élève seront valorisés.

Aussi, la FPS s’organise en deux temps distincts, une première partie constituée d’une série de 3 courses où l’on gagne en arrivant sur la ligne d’arrivée au coup de sifflet ( atteinte d’une zone cible) à partir d’un départ personnalisé, un podium accessible à l’ensemble des coureurs en somme. Cette première partie contractualisée autour d’une allure cible permet de rapporter des points pour son équipe en étant à la bonne vitesse sur des courses de 1’30”, 3' et 3’. La deuxième partie, une course de 1’30” , met en jeu l’esprit de compétition où la place obtenue suite à la course détermine les points que je gagne et rapporte à mon équipe. Ce temps vise l’atteinte d’une performance maximale à l’issue des 3 premières courses. Nous attachons, même au travers de cette FPS, construite autour du fonds culturels du demi-fond issu du monde de l’athlétisme et en dépit de la dimension centrale de la référence individualisé, à nous appuyer sur des défis intra et inter classes pour jouer sur des enjeux de fraternité et solidarité si prégnants actuellement.

 

Les fondements de la forme de pratique : 

 

Notre FPS en demi-fond agit sur les mobiles d’agir suivant  « courir pour s’échapper » , « courir pour rattrapper » avec un accent mis sur la dimension symbolique « se mesurer aux autres ».  La dimension symbolique soulevée ici, renvoie au désir individuel d’être, la ou le premier(e), au travers de la confrontation dans la FPS.  En effet, nous nous plaçons dans une vision anthropologique de l’action de courir. “Courir”, a permis, à l’être humain, de coloniser la planète toute entière. Il est le seul être vivant endurant, capable de courir de très longues distances et à une allure nécessitant le trot pour les autres animaux. Il y parvient grâce à ses capacités de thermorégulation, ce phénomène est très bien décrit par Niobe Thompson Anthropologue dans le documentaire “sommes-nous nés pour courir”. Afin de jouer sur ces dimensions, nous serons attentifs à l’intention de “chasser” le coureur qui est devant soi ainsi qu’à l’intention d’échapper à celui qui nous suit. De plus, pour vivre une tranche de vie de “fondeur” selon la définition anthropologique proposée, des objectifs collectifs seront présentés à chaque leçon pour développer le volume de travail en termes de distance parcourue.

Cependant, nous sommes confrontés en EPS à une hétérogénéité forte au sein de nos classes, au niveau des pouvoirs énergétiques et moteurs, ce qui de fait, offre la possibilité seulement à quelques-uns, toujours LE MÊME d’être en tête. 

Pour autant, aucun des élèves, que ce soit le gagnant comme les perdants, n’est en mesure dans ce contexte ancré dans un modèle de course basé sur une distance identique pour tous, de vivre la véritable expérience de l’opposition. En effet, les déterminants anatomo-physiologiques et le déjà là, en somme, l’acquis viennent tronquer la course et ce avant même que la séquence ne commence. Dès lors, comment susciter chez toutes et tous l'engagement nécessaire au progrès, à la conduite de la course pour être en capacité de la remporter, sans entrer dans des courses de niveau qui renforcent souvent le sentiment d’incompétence ?

Nous pensons que la course doit être mixte et inter niveaux pour participer à l’apprentissage d’une compétition juste et équitable. Le choix de mettre en place une mixité filles, garçons et « pratiquants non pratiquants » est un enjeu fort de la FPS proposée à nos élèves. En effet, sur le plan culturel, l’enjeu est de permettre à toutes et tous de vivre une « tranche de vie » de demi-fondeur en étant capable de participer à la course en vue de la remporter et ainsi tout mettre en oeuvre tactiquement mais aussi en terme de planification des efforts, indispensable à l’acquisition du savoir s’entraîner. Sur le plan éducatif, nous avons l’ambition de proposer une forme de pratique scolaire émancipatrice des acquis où chacun dans sa zone de performance va pouvoir se mesurer aux autres dans une compétition saine et équitable. Nous entendons celle-ci comme une allégorie d’une société future égalitaire où toutes et tous disposent des moyens de s’émanciper de leur condition initiale en rupture avec une société de la reproduction de classe. 

Aussi, des aménagements sont alors indispensables pour changer de paradigme afin de passer d’une course où la vitesse est l’élément de comparaison entre les coureurs à une course où le maintien d’une allure cible sur un temps donné devient central. 

Dans cette mesure, la course ne consiste plus pour toutes et tous de rallier un même point A à un même point B le plus vite possible mais de rallier un point A individualisé à un point B commun. Ainsi, chaque élève parcourt une distance personnalisée sur un temps donné. La course comprend plusieurs temps à des durées différentes et des objectifs différents.

 

Le fonctionnement de la FPS :

 

La FPS s'organise en 4 courses qui forment une épreuve globale. Le déroulé est le suivant, 4 étapes de 1’30, 3’,3’, 1’30 avec 1'30" de récupération entre les courses. Les trois premières courses se font au contrat en arrivant dans la zone d’arrivée au coup de sifflet, chaque fois que l’élève parvient à remplir son contrat il gagne 1 point pour lui et le groupe, dans le cas contraire, il ne marque pas de point. La dernière est une course “au score” dans le sens où l’arrivée dans le premier tiers du peloton rapporte 3 points, le deuxième tiers 2 pts, le troisième tiers avec respect de vitesse cible 1 pt. Hors cible 0. Un élève peut donc marquer 7 pts maximum par leçon à partir de 3 points il ou elle est en reussite en ayant validé 3 courses sur 4.

 

  • Les temps dans la FPS : temporalité et durée de course

 

Une introduction de la FPS est prévue progressivement, d’une part pour déterminer les vitesses cibles de nos élèves en prenant le temps de les faire adhérer à la démarche, puis de mettre en place la dynamique course au contrat/course contre tout le monde.

En effet, dans un souci d’efficacité en appui sur la littérature professionnelle, nous avons choisi 3 références au niveau du temps de course : 36”, 1’30” et 3’. Ces temps offrent un double intérêt à nos yeux, dans un premier temps ils correspondent aux filières énergétiques sur lesquelles nous voulons travailler en demi-fond en ciblant la filière puissance aérobie, dans un second temps, ils permettent de baliser la piste pour obtenir une correspondance entre la vitesse et le nombre plots gagnés. En effet, Ces temps de courses offrent l’avantage désormais d’être répandus dans la profession en facilitant la lecture instantanée de la vitesse de course par toutes et tous, à l’aide d’un balisage simple et facilement mis en œuvre comme présenté par S. BERNARD -L. PEYRE - W. RÖÖSLI dans leur article “L'Évaluation Par Indicateurs de Compétence, un outil au service de la réussite de tous en demi-fond” revue Enseigner l’EPS avril 2016. Ci-dessous, le tableau 3.2 p 127, de Gerbeaux et Berthoin, 1999 pour cibler un travail long-long en grande boucle et court-court en petite boucle. (voir le document résumé des rapports entre distances temps et balisages en annexe)

 

 

  • La course auto-référencée avec une arrivée commune

Si l’auto-référencement dans les activités athlétiques est plébiscité depuis les travaux de E.Llobet et G.Hanula sur le 12 sec, les mises en œuvre en demi-fond pouvaient paraître encore fastidieuses en termes de suivi. En effet, la multiplication des références individualisées peut poser problème.

Aussi, pour pallier à cela, nous avons opté pour un départ individualisé et une arrivée commune ce qui permet à l’enseignant une vérification directe de la réussite des élèves et par conséquent de mettre en route la régulation nécessaire. De plus, cela offre la possibilité d’une arrivée groupée ce qui favorise l’émulation des élèves. C’est précisément ici que se trouve le point de bascule de notre FPS, pour inverser le paradigme compétitif classique avec une compétition juste et équitable.

Dès lors, chaque élève, une fois la vitesse cible vérifiée et validée, est en mesure de participer à la course de la classe avec une réelle chance de la remporter, une opportunité toujours trop peu fréquente dans les cours d’EPS et l’école de la république. 

 

  • Les courses à contrat et la course chacun pour soi/son équipe 

 

Afin de mettre en place un travail adapté aux filières ciblées, source de développement des ressources énergétiques et d’apprentissages moteurs,  il nous apparaît important de ne pas être dans la compétition perpétuelle si stimulante puisse-t-elle être. En effet, cela pousserait les élèves à un dépassement trop important ou prématuré ce qui limiterait le volume de travail et le temps de course dans la zone de performance ciblée. C’est pourquoi, nous avons fait le choix de différencier les buts des différentes courses pour passer d’une notion de contrat, renvoyant à la notion de gestion de l’effort, à une course au score contre toute la classe, pour viser des acquisitions tactiques et de dépassement tirées du fonds culturel de l’activité. En effet, le contrat présente pour nous la porte d'entrée vers la performance finale, c'est à ce prix, que les élèves pourront être compétitif sur la course au score, tout en garantissant l'équité des ressources mobilisées. Aussi, nous faisons le pari de la régularité de course en appui sur les capacités de toutes et tous. Dans cette mesure, si les élèves dépassent la cible de plus d'un kilomètre par heure, pendant les courses contrats, ils ne marquent pas de points. En revanche, si le ressenti est bon, ils peuvent demander une régulation de leur plot de départ. Cette aménagement peut aussi se faire sur invitation de l'enseignant lorsqu'il identifie des élèves étant dans le cas précisé.

 

  • le travail collaboratif en équipe et dans la classe 

Le travail en petits groupes  favorise la mise en place d’une « communauté d’intérêt » (F.Galichet, L’éducation à la citoyenneté, 1998) visant l’atteinte collective d’un objectif commun. Nous ne perdons ainsi pas de vue, l’objectif de solidarité et de fraternité. Pour valider le travail collectif et favoriser d’une autre façon le dépassement de tous, nous avons choisi de poser des défis à chaque leçon en terme de nombre de points à atteindre. Dans l’exemple ci-dessous, un projet de classe est mené en début d’année pour favoriser l’intégration des élèves de seconde en voyageant symboliquement selon un itinéraire d’une séance à l’autre de ville en ville à travers, la france, l’europe, le monde donnant l’occasion aux élèves concernés par la ville de se présenter succinctement en fin de leçon si le défi est réussi. La réussite de l’itinéraire complet est un des objectifs forts du cycle (voir la partie spécifique sur l'évaluation en 2nd).

Dans cette logique, à chaque leçon, par le biais des points à gagner dans la FPS ou à travers des petites boucles, la classe aura un défi à relever en tentant d'atteindre un nombre de points qui valide l'atteinte d'une ville étape.

Le nombre de points à marquer pour la classe, est égal au nombre de point maximum hors compétition par élève x le nombre d'élève x 80%.

Par exemple, dans la FPS, chaque élève à 7 points à marquer au maximum en terminant dans le premier tiers de la course. Nous considérons que les élèves sont en très grande réussite sur la leçon à partir de 4 points marqués, ce qui revient à atteindre la cible à chaque course.

Ainsi, le nombre de points à marquer pour la classe, et ainsi, atteindre "Rome" virtuellement, dans l'exemple ci-dessous, sera de (4x26)x0,8= 83,2 points pour 26 élèves.

L'application permet un calcul rapide du total de points à marquer ainsi que la somme des points marqués par élève. (voir la partie dédiée à l'utilisation des Glide).

 

  • Les Fils rouges

Les transformations visées au cours de la séquence seront articulées  sur des fils rouges support de l’analyse pour les élèves. Pour suivre les acquis des élèves, des fils rouges sont indispensables ; ils sont organisés en deux dimensions, collective et individuelle.

  • Collectivement : l’atteinte d’un score cible collectif en fonction de la réussite des contrats
  • Individuellement : le nombre d’atteinte de la zone d’arrivée au coup de sifflet/nombre de courses réalisées



La conduite et les régulations de la FPS 

La mise en place de la FPS « la course en mode fantôme» peut se faire sur les trois premières leçons comme suit :

 

Leçon 1 : Dans le cadre de la première leçon, l’objectif est la détermination des vitesses cibles. Le travail réalisé se fait au temps sur une séquence de course de 10 fois 36” de course 24” de récupération avec un balisage tous les 10 m afin de connaître la VMA. Les premières courses s'effectuent en tournant autour de la piste. Les deux dernières se font en aller retour en épingle pour finir sur une course à allure maximale afin de déterminer l’engagement de l’élève dans la séquence. En effet, si ce dernier explose sa performance moyenne en étant capable de courir au-delà de 2 km/h plus vite nous considérons que sa vitesse est sous-évaluée. Nous nous autorisons donc à réguler sa vitesse cible pour la leçon suivante. D’une manière générale, cette méthode s’appliquera à chaque leçon dans le cas de figure présenté. Il est par ailleurs vrai aussi dans le cas inverse.

 

Leçon 2 : le 2*3’  2*1”30 avec 1’30” de récupération active entre les courses. Ce dispositif s’approche de la FPS finale seulement l’articulation des courses permet de mettre en place le dispositif et d’offrir un temps d’appropriation aux élèves. La piste est balisée tous les 25m avec des plots identiques tous les 50m. De cette façon, sur les courses de 3 min, seules les balises identiques tous les 50m comptent pour repérer la vitesse et la balise cible alors que pour les courses d’1’ 30” toutes les balises comptent.

Le dispositif fonctionne comme sur le schéma :